vendredi 10 avril 2009

Lettre ouverte aux députés et sénateurs sur la Loi Création et Internet

Madame, Monsieur le Député, Sénateur,


Je m’appelle Xavier. J’ai 29 ans, et ne suis qu’ illustre inconnu parmi d’autres. Je fais partie de cette génération née à l’aube des années 1980, et qui a appris à lire et écrire avec un papier et un crayon. Quand nous sommes arrivés à l’université, l’Internet n’était pas encore ancré dans les pratiques culturelles : nous y allions pour avoir quelques informations, mais la plupart du temps, nous avions étudié, et travaillé fiévreusement en compulsant des ouvrages faits de papier. Certes, l’informatique était rentré dans les mentalités, mais cela résultait surtout d’une commodité de rédaction ou de présentation de documents. Les échanges, restaient encore matérialisés.

Puis nous, nous sommes adaptés à l’avènement de ce que l’on appelle (à tort à mon avis) le WEB 2.0, qui permet l’interactivité, l’échange, et surtout cette véritable révolution qu’est la dématérialisation. Celle ci est rentrée dans les mœurs à travers une multitude de processus : numérisation des données (on peut scanner des documents et les envoyer en version numérique sans qu’ils perdent de leur réalité) , factures téléphoniques, déclaration des impôts, paiement en ligne, radio en ligne, sessions de multijoueurs, web conférence, télétravail, publicité, accès à la culture (encyclopédies en ligne interactives…). Cette révolution qui par bien des côtés peut paraître anodine, voire puérile, est en train de s’accomplir de manière inarrêtable, et va dans le sens de l’Histoire, et des technologies développées : les échanges vont êtres dématérialisés, voire totalement virtualisés (soi dit en passant, c’est une des grandes difficultés de La Poste entreprise dans laquelle j’ai exercé des responsabilités, qui doit faire face aujourd’hui à la fin de l’écrit au profit du courrier électronique) .

Le déferlement de la société des loisirs suite à la seconde guerre mondiale à permis un déferlement sans précédent de création visuelle ou musicale, qui s’adapta à chaque support censé la supporter : disques vinyles, bandes magnétiques, cassettes audio, disque laser, DVD, et maintenant, Blue Ray. Quelque soit le cas de figure, cette création musicale et visuelle s’est adaptée, malgré les difficultés. Cependant , le support restait avant tout physique, comme le livre de Gutenberg. Aujourd’hui je ne vous apprendrai strictement rien en vous disant que le CD ou le film, et même le livre (des sociétés comme Amazon.fr, et Sony ont lancé un support permettant de stocker plusieurs centaines de milliers de livres) sont dématérialisés et diffusés en ligne. Aujourd’hui l’un des enjeux de la Recherche en Informatique est la virtualisation des clusters et des données pour augmenter les capacités de stockage et de calculs des ordinateurs et serveurs…. Tout cela vient rejoindre le grand cortège de l’ensemble des flux d’informations qui sont eu aussi dématérialisés, au sein de cet immense réseau mondial qu’est Internet. Tenter de réguler, de brider ou de stopper ce phénomène de dématérialisation, c’est aller à l’encontre du sens de l’histoire même, comme tenter d’interdire l’imprimerie de Gutenberg : c’est s’opposer à un mouvement qui est une réalité sociale. L’information n’est plus un stock matériel, elle devient un flux dématérialisé. Là est la Révolution fondamentale.

C’est l’ensemble des connaissances humaines et des échanges qui sont en train de se dématérialiser, qu’ils soient libres de droits, ou non. Dans la première moitié du vingtième siècles, quelques savants ont aperçus les prémices de cette dématérialisation : un biologiste russe, Vernadsky, et un théologien et anthropologue jésuite, Pierre Teilhard de Chardin. Pour eux, le sens de l’Evolution est d’aller vers la création de ce qu’ils appellent une biosphère pour l’un et une noosphère pour l’autre qui représente un état de la conscience partagé par l’ensemble du vivant, et qui passe par une infosphère , immense réseau planétaire, réceptacle des connaissances humaines (Nota : oui j’ai repris le concept de Dan Simmons. mais plus au sens moderne que lui donne le Pr Luciano Floridi en terme de phlosophie de l’information .
Le regretté Professeur Jacques Ruffié, Membre de l’Académie des Sciences, avait dans son ouvrage écrit au début des années 80 « De la Biologie à la Culture » (ouvrage de référence sur la génétique et les Théories de l’Evolution) , analysé l’évolution de l’être humain, comme finalisée au sens biologique ( l’individu interagissant plus avec le groupe social et non avec l’environnement comme pression adaptative) et se portant aujourd’hui sur une évolution culturelle de part sa formidable capacité d’apprentissage, et de création de l’information permise par la société : l’homogénéité l’emporte sur la différenciation. Je renvoie à un intéressant passage ici.

Le sens de l’évolution sociétale, le sens de l’évolution technologique, le sens de l’évolution historique, le sens de l’évolution biologique, tout, absolument tout, porte à cette dématérialisation.

La Loi Création et Internet/HADOPI, bien heureusement rejetée, allait à son encontre en tentant de présenter l’échange d’information (libre de droits ou non) comme criminel ou à tout le moins délictueux. En utilisant les termes (incorrects juridiquement je vous le rappelle) de piratage, ou de vol, cette loi et les personnes qui dans une volonté passéiste et irraisonnée, la défendent, se voilent la face sur la réalité des échanges, et ne comprennent pas la nécessité impérieuse de réguler, faciliter, et encourager les échanges au lieu de les brider. Elle obligeait à référencer, voire filtrer internet, allant encore une fois à l’encontre de sa finalité (qui est de croître comme tout système, ca n’est pas de l’idéologie, mais du bon sens). Les droits des auteurs, compositeurs interprètes et ensemble des artistes lésés (à juste titre) par les téléchargement illégaux ne sont absolument pas protégés par cette loi dépassée technologiquement, comme vous le savez sans doute. Elle ne favorise pas la création, ni une protection des droits et de la rémunération des artistes.

Mais le plus grave selon moi est qu’elle fasse basculer le réseau dans son ensemble dans un sous réseau crypté, secret, difficilement accessible. Plusieurs réseaux tels que Freenet, Tor, les technologies VPN ou Imule font office de contre mesures à l’HADOPI d’ores et déjà, mais restent marginalisés. En les forçant à se développer, HADOPI va générer une réponse avec un internet trouble, paranoïaque ou le plus crypté , celui détenant les « secrets » de la toile, sera perçu comme détenteur de l’information. L’infosphère et donc internet, par une généralisation du cryptage et de la paranoïa sera morte ! Combien d’année de retards allons nous prendre ? combien de générations seront lésées par ce bridage à contre sens, dont le but original, n’est que la protection d’un modèle économique (vente de supports matériels) en coma dépassé ?

Voulons nous retomber au Moyen Age, temps obscurs ou l’information était scellée dans des grimoires tenus à l’écart de la population par les moines copistes détenteurs de ces savoirs ? Ou voulons nous permettre de favoriser l’accès à l’information, le développement de l’infosphère ?

Gutemberg a fait sauter les verrous des incunables, et permis un développement des échanges révolutionnaires dans le monde entier. Il est tant aujourd’hui de faire sauter les verrous des supports physiques et d’assurer massivement le développement des échanges, de l’information, pour accéder à l’infosphère.

Il est temps d’enterrer l’HADOPI et de créer les Etats Généraux du numérique, pour permettre tous ensemble, internautes, créateurs, enseignants, écrivains, de participer à la Génèse d’une Infosphère, de chevaucher les fronts d’onde de l’évolution. Au-delà de tout intérêt, au-delà de tout électoralisme, l’enjeu est bien au-delà de ces courtes vues..

C’est pourquoi j’appelle à rejeter la prochaine lecture de cette loi, et de soutenir des travaux en vue d’une loi pro active, favorisant les échanges d’information, et permettant, et incitant, et encourageant les artistes à y participer.


Je vais conclure par cette citation de cet ouvrage qu’est le Nom de la Rose d’Umberto Eco, vibrant plaidoyer contre le recel de la connaissance :

Stat rosa pristina nomine.

Nomina nuda tenemus



La Rose des ages demeure par son nom.

Il ne nous reste que les mots mis à nus.

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