mercredi 13 mai 2009
Vers un changement de paradigme de la représentation nationale?
La Loi création et internet est passée en seconde lecture à l’Assemblée Nationale sur un vote solennel. C’est à dire que sont comptabilisés et précisés les noms des députés qui ont voté pour, contre ou se sont abstenus, classés par partis. Cette procédure n’a rien de bien exceptionnel et s’est produite à d’autres reprises dans l’histoire de l’hémicycle. Cependant, ce n’est pas sur n’importe quel texte qu’elle a eu lieu. Le projet de loi Création et Internet est l’un des textes les plus polémiques de ces dernières années, et a été extrêmement suivi par de nombreux internautes et citoyens. Les multiples rebondissements du processus législatif de ce texte ont même amené certains médias tels que PCInpact ou Numerama a assurer une couverture hors normes de ce texte législatif avec des comptes rendus de débats parlementaires en quasi temps réel. Numerama a même intitulé avec beaucoup d’humour ses articles Hadopi comme si c’était ceux d’une série télévisée (S201, S202, S203…).
Le texte en question a été suivi bien qu’il ne souffrait d’aucun suspense, et pour cause, il est sorti d’un impératif technique présenté comme tel (création d’un arsenal pour protéger le droit d’auteur et les droits voisins) , à un impératif politique, où la majorité devait voter impérativement le texte pour effacer la paire de gifles reçue après le rejet en première lecture. Copé l’avait d’ailleurs affirmé clairement, le fond du débat, le texte est anecdotique, le texte est devenu une nécessité politique.
Cette phrase en apparence anodine et tout sauf surprenante au regard du gouvernement actuel, est pourtant le déclencheur d’une nouvelle pratique, d’une nouvelle perception de la représentation nationale.
C’est tout d’abord la création d’un site internet se voulant pérenne, www.deputesgodillots.info , qui vise à réaliser un comparatif sur les députés, par le nombre d’interventions en séance, les projets de loi présentés, bref, l’activité parlementaire du député. Site que tout un chacun peut consulter et qui potentiellement, est une source de problèmes pour certains députés, dont les administrés apprécieraient sûrement le je-m’en-foutisme total de certains de leurs représentants.
C’est aussi le mailing : 60 courriels en moyenne ont été reçus par les députés lors des débats sur Hadopi. La relation entre le député et ses administrés traditionnellement perçue à travers la distance de l’hémicycle ou la permanence désertée, est devenue cybernétique : la facilité qu’il y a à s’adresser à son député change radicalement la notion de distanciation initialement mise en avant. Les citoyens n’hésitent plus à contacter leur député, même si l’affaire Bourreau-Guggenheim fait l’effet d’une douche glaciale. Cela dit cette affaire au lieu de refréner les ardeurs communicatives des internautes, a fait fleurir une dernière neo-pratique peut être la plus importante : l’internaute ayant été dénoncé par un député, les internautes se mettent à dénoncer leurs députés.
On voit ainsi fleurir ces derniers jours de multiples sites qui reprennent et recensent l’ensemble des votes par député: là, là, là ou bien là, et encore là.... (non vous ne rêvez pas, même le Point et le Figaro l'ont fait). On peut ainsi savoir si son député est en faveur ou non de cette loi,et avec le site députésgodillots évoqué précédemment, si il a réellement suivi les débats, si il est intervenu durant ces derniers et quelle fut sa position dessus.
Ainsi, la loi Hadopi avant même sa promulgation, a déjà produit son premier effet : le flicage des députés. Chaque acte de ces derniers, chaque prise de parole en public, chaque intervention, chaque geste est surveillée à la loupe, par une multitude d’anonymes.
Allons nous vers un mandat impératif de fait ? la question risque de se poser si cette pratique se généralise à l’avenir. On peut ainsi penser que pour les prochaines élections législatives, les citoyens auront à leur disposition, l’ensemble du travail parlementaire de leur député, et ce de manière factuelle. Cela laisse présager de nouvelles relations entre le député et le citoyen. Le vote final de ce dernier ne reposera plus uniquement sur de belles paroles électorales mais sur une confiance, sur un passé, une expérience, des actes factuels.
1984 de George Orwell est plus que jamais d’actualité, mais ce sont les députés qui en sont les premières victimes.
mardi 12 mai 2009
La Longue Marche des députés vers la Chine.fr
Aujourd’hui, les députés de l’Assemblée Nationale ont voté une monstruosité dont la plupart n’ont même pas idée. Ils l’ont d’ailleurs dit eux même : Jean François Copé a ainsi précisé que le texte était anecdotique, et que le vote importait avant tout pour des motifs politiques, histoire d’effacer la gifle reçue par le rejet de la loi en première lecture. Consigne a ainsi été donnée par Nicolas Premier, de faire une démonstration de force en incitant fortement (litote) les députés UMP à voter pour ce projet de loi…
Un seul amendement a été accepté par la majorité celui qui visait à exclure du champ de cette loi la notion de correspondance privée , donc les emails. Sans cela l'HADOPI instituée aurait pu fouiller dans les email. Oui vous m'avez bien lu, lire les emails, votre propre correspondance privée. Sachant bien sur, que le Sénat ou la Commission Mixte Paritaire peut encore le rajouter…
Peu importe donc que ce projet de loi permette (merci à l'excellent site PCInpact pour ses comptes rendus et ses synthèses, les points suivants évoqués sont issus de cet excellent site, je me permet de les reprendre car ils forment une synthèse remarquable ):
- Responsabilité des abonnés sur des box dont ils ne comprennent en rien le mécanisme (voir l'actualité)
- Mécanisme de sanction qui repose sur l'adresse IP, faible indice facilement piratable
- Système de monitoring payant et non interopérable que chaque utilisateur devra presque impérativement installer sur sa machine (voir l'actualité), sauf à risquer une procédure kafkaïenne.
- Culpabilité absolue des internautes naviguant sans ces outils de surveillance et dont l’adresse IP aura été détectée (voir l'actualité)
- Filtrage (voir l'actualité) et tatouage pour des contrôles en temps réel (voir l'actualité)
- Contrôle des offres légales commerciales affichées sur un site portail via un système de label (avec risque d'exclusion des offres non labélisées) (voir l'actualité)
- Surveillance de masse des réseaux P2P, 10 000 emails mitraillés chaque jour, 3000 lettres recommandées envoyées chaque jour et 1000 décisions chaque jour émises par une poignée de personnes qui n’aura pas le temps manifeste d’analyser chaque cas (voir l'actualité) sauf si elle est rapide, très rapide (25,20 secondes par décision)
- Possibilité de cumul de peines - contrefaçon suspension, réparation civile (voir l'actualité)
>L’ensemble de ces dispositions vise à contrôler le flux des échanges sur internet, en plaçant chaque internaute sous la coupe réglée d’une milice privée en charge de cette surveillance. Ceci est le véritable coup d’envoi de la Longue marche que mène la France, seul Etat au monde à mettre en place le filtrage d’internet (EU, Canada, Italie, Nouvelle Zelande, Grande Bretagne entres autres ont refusé), pour rejoindre la Chine au firmament de la censure.
Le vote solennel de cet après midi est cependant fondamental : il va dresser la carte de l’ensemble des députés qui vont voter en leur âme damnée et inconscience pour cette monstruosité juridique qu’est l’Hadopi.
Deux catégories de députés voteront pour : ceux qui soutiennent ce projet de loi ouvertement, qui l'ont défendu aprement, et dont les noms sont déjà connus :
Mr. Frank Riester
Mr. Frederic Lefebvre
Mr. Roger Karoutchi
Mr. Jean François Copé
Mme. Murielle Marland Militello
Mr. Jean Luc Warsmann,
Mme. Françoise de Panafieu
Mr. Jack Lang
Mr. Gosselin
Mr. Martin Lalande
Mention spéciale à Françoise de Panafieu pour avoir fait passer l'email d'un de ses administrés à a Ministre de la culture qui l'a forwardé à l'entreprise dudit administré, qui a licencié aussi sec la personne à cause de ce mail pourtant protégé par le secret de la correspondance. Dans notre République fondée sur des lois et des libertés fondamentales garanties par les parlementaires et les tribunaux, la violation du secret de la correspondance et le délit d'opinion, ne peuvent que provoquer un sentiment de nausée, de relent des heures vychistes les plus sombres de notre Histoire moderne.
Ces députés entraînent derrière eux tout le reste des députés UMP et quelques Nouveaux Centre qui sont restés silencieux durant les débats, et qui ne connaissent pas le texte en question et sont pour la plupart totalement inconscient du texte qui va être voté. Ils sont appelés les godillots.
Ce soir tout le monde pourra savoir qui a voté quoi, et cela laisse présager quelques craintes de représailles de la part d’un public rendu furieux par le déni de démocratie que constitue cette loi abjecte. On peut se poser la question de savoir si ces godillots méritent le titre de députés, c’est à dire de représentants de la nation, et non de représentants des oligarchies de l’industrie culturelle. C’est pourquoi il est à craindre que leurs noms soient voués aux gémonies si ce n’est à une vindicte populaire autre que simplement électorale. Espérons que les esprits ne s'échaufferont pas et que la raison restera de mise. Répondre à cette violence politique par de la violence physique ou expressive est justement une escalade qu'il ne faut pas entamer.…
D’un autre côté, je salue les députés de tout bord qui ont combattu ce texte sans répis, et tout particulièrement les députés de la majorité qui ont eu le courage malgré les tentatives de les bâillonner, de s’exprimer. On citera tout particulièrement :
Jean Pierre Brard (apparenté PCF)
Martine Billard (Verts)
Patrick Bloche (PS)
Jean Marc Ayrault (PS)
Sandrine Mazetier (PS)
Jean-Yves le Bouillonec (PS)
Didier Mathus (PS)
Patrick Roy (PS)
Maryse Lebranchu (PS)
Jean Dionis du Séjour (NC)
Lionel Tardy (UMP)
Christian Vanneste (UMP)
Ils n'ont eu de cesse de s'exprimer de combattre ce texte malgré les refus de réponses multiples de la part du Ministre et du Rapporteur. Leur volonté de se démarquer, de faire respecter le rôle des assemblées parlementaires , et ce hors de tout partisianisme est le signe que tout n'est pas encore pourri dans notre régime...
Et tous ceux, quelqu’ils soient qui auront le courage de dire “Non au filtrage, non à l’arbitraire d”une justice privée, non à la censure, non à la dénonciation, non à l’obscurantisme » dans l’hémicycle cet après midi. Et tous ceux qui pense que soutenir les artistes passe par d’autres voies, d’autres chemins à explorer, dans un soucis d’apaisement cette fois et on de polémiques abjectes stériles.
Merci à tous ceux là d’avoir mené un combat perdu d’avance devant le « mur » formé par le pseudo « gouvernement », ce dernier apparaissant jour après jours comme une clique d’incompétents à la solde d’intérêts exclusivement privés.
vendredi 10 avril 2009
Lettre ouverte aux députés et sénateurs sur la Loi Création et Internet
Je m’appelle Xavier. J’ai 29 ans, et ne suis qu’ illustre inconnu parmi d’autres. Je fais partie de cette génération née à l’aube des années 1980, et qui a appris à lire et écrire avec un papier et un crayon. Quand nous sommes arrivés à l’université, l’Internet n’était pas encore ancré dans les pratiques culturelles : nous y allions pour avoir quelques informations, mais la plupart du temps, nous avions étudié, et travaillé fiévreusement en compulsant des ouvrages faits de papier. Certes, l’informatique était rentré dans les mentalités, mais cela résultait surtout d’une commodité de rédaction ou de présentation de documents. Les échanges, restaient encore matérialisés.
Puis nous, nous sommes adaptés à l’avènement de ce que l’on appelle (à tort à mon avis) le WEB 2.0, qui permet l’interactivité, l’échange, et surtout cette véritable révolution qu’est la dématérialisation. Celle ci est rentrée dans les mœurs à travers une multitude de processus : numérisation des données (on peut scanner des documents et les envoyer en version numérique sans qu’ils perdent de leur réalité) , factures téléphoniques, déclaration des impôts, paiement en ligne, radio en ligne, sessions de multijoueurs, web conférence, télétravail, publicité, accès à la culture (encyclopédies en ligne interactives…). Cette révolution qui par bien des côtés peut paraître anodine, voire puérile, est en train de s’accomplir de manière inarrêtable, et va dans le sens de l’Histoire, et des technologies développées : les échanges vont êtres dématérialisés, voire totalement virtualisés (soi dit en passant, c’est une des grandes difficultés de La Poste entreprise dans laquelle j’ai exercé des responsabilités, qui doit faire face aujourd’hui à la fin de l’écrit au profit du courrier électronique) .
Le déferlement de la société des loisirs suite à la seconde guerre mondiale à permis un déferlement sans précédent de création visuelle ou musicale, qui s’adapta à chaque support censé la supporter : disques vinyles, bandes magnétiques, cassettes audio, disque laser, DVD, et maintenant, Blue Ray. Quelque soit le cas de figure, cette création musicale et visuelle s’est adaptée, malgré les difficultés. Cependant , le support restait avant tout physique, comme le livre de Gutenberg. Aujourd’hui je ne vous apprendrai strictement rien en vous disant que le CD ou le film, et même le livre (des sociétés comme Amazon.fr, et Sony ont lancé un support permettant de stocker plusieurs centaines de milliers de livres) sont dématérialisés et diffusés en ligne. Aujourd’hui l’un des enjeux de la Recherche en Informatique est la virtualisation des clusters et des données pour augmenter les capacités de stockage et de calculs des ordinateurs et serveurs…. Tout cela vient rejoindre le grand cortège de l’ensemble des flux d’informations qui sont eu aussi dématérialisés, au sein de cet immense réseau mondial qu’est Internet. Tenter de réguler, de brider ou de stopper ce phénomène de dématérialisation, c’est aller à l’encontre du sens de l’histoire même, comme tenter d’interdire l’imprimerie de Gutenberg : c’est s’opposer à un mouvement qui est une réalité sociale. L’information n’est plus un stock matériel, elle devient un flux dématérialisé. Là est la Révolution fondamentale.
C’est l’ensemble des connaissances humaines et des échanges qui sont en train de se dématérialiser, qu’ils soient libres de droits, ou non. Dans la première moitié du vingtième siècles, quelques savants ont aperçus les prémices de cette dématérialisation : un biologiste russe, Vernadsky, et un théologien et anthropologue jésuite, Pierre Teilhard de Chardin. Pour eux, le sens de l’Evolution est d’aller vers la création de ce qu’ils appellent une biosphère pour l’un et une noosphère pour l’autre qui représente un état de la conscience partagé par l’ensemble du vivant, et qui passe par une infosphère , immense réseau planétaire, réceptacle des connaissances humaines (Nota : oui j’ai repris le concept de Dan Simmons. mais plus au sens moderne que lui donne le Pr Luciano Floridi en terme de phlosophie de l’information .
Le sens de l’évolution sociétale, le sens de l’évolution technologique, le sens de l’évolution historique, le sens de l’évolution biologique, tout, absolument tout, porte à cette dématérialisation.
La Loi Création et Internet/HADOPI, bien heureusement rejetée, allait à son encontre en tentant de présenter l’échange d’information (libre de droits ou non) comme criminel ou à tout le moins délictueux. En utilisant les termes (incorrects juridiquement je vous le rappelle) de piratage, ou de vol, cette loi et les personnes qui dans une volonté passéiste et irraisonnée, la défendent, se voilent la face sur la réalité des échanges, et ne comprennent pas la nécessité impérieuse de réguler, faciliter, et encourager les échanges au lieu de les brider. Elle obligeait à référencer, voire filtrer internet, allant encore une fois à l’encontre de sa finalité (qui est de croître comme tout système, ca n’est pas de l’idéologie, mais du bon sens). Les droits des auteurs, compositeurs interprètes et ensemble des artistes lésés (à juste titre) par les téléchargement illégaux ne sont absolument pas protégés par cette loi dépassée technologiquement, comme vous le savez sans doute. Elle ne favorise pas la création, ni une protection des droits et de la rémunération des artistes.
Mais le plus grave selon moi est qu’elle fasse basculer le réseau dans son ensemble dans un sous réseau crypté, secret, difficilement accessible. Plusieurs réseaux tels que Freenet, Tor, les technologies VPN ou Imule font office de contre mesures à l’HADOPI d’ores et déjà, mais restent marginalisés. En les forçant à se développer, HADOPI va générer une réponse avec un internet trouble, paranoïaque ou le plus crypté , celui détenant les « secrets » de la toile, sera perçu comme détenteur de l’information. L’infosphère et donc internet, par une généralisation du cryptage et de la paranoïa sera morte ! Combien d’année de retards allons nous prendre ? combien de générations seront lésées par ce bridage à contre sens, dont le but original, n’est que la protection d’un modèle économique (vente de supports matériels) en coma dépassé ?
Voulons nous retomber au Moyen Age, temps obscurs ou l’information était scellée dans des grimoires tenus à l’écart de la population par les moines copistes détenteurs de ces savoirs ? Ou voulons nous permettre de favoriser l’accès à l’information, le développement de l’infosphère ?
Gutemberg a fait sauter les verrous des incunables, et permis un développement des échanges révolutionnaires dans le monde entier. Il est tant aujourd’hui de faire sauter les verrous des supports physiques et d’assurer massivement le développement des échanges, de l’information, pour accéder à l’infosphère.
Il est temps d’enterrer l’HADOPI et de créer les Etats Généraux du numérique, pour permettre tous ensemble, internautes, créateurs, enseignants, écrivains, de participer à la Génèse d’une Infosphère, de chevaucher les fronts d’onde de l’évolution. Au-delà de tout intérêt, au-delà de tout électoralisme, l’enjeu est bien au-delà de ces courtes vues..
C’est pourquoi j’appelle à rejeter la prochaine lecture de cette loi, et de soutenir des travaux en vue d’une loi pro active, favorisant les échanges d’information, et permettant, et incitant, et encourageant les artistes à y participer.
Je vais conclure par cette citation de cet ouvrage qu’est le Nom de la Rose d’Umberto Eco, vibrant plaidoyer contre le recel de la connaissance :
Stat rosa pristina nomine.
Nomina nuda tenemus
La Rose des ages demeure par son nom.
Il ne nous reste que les mots mis à nus.